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Extraits du roman-poème de Yannis Youlountas
DOUZE NUITS AU SERAIL (La gouttière, 2004),
bref essai sur l’amour en 33 pièces :
(...)
II – DEGYNERESSENCE
L’homme naît dans la femme et jamais le contraire,
Fusionné, façonné, noué par l’ombilic
A son premier amour, avant de s’en extraire,
Poussé dehors, jeté dans le froid métallique.
Ne lui reste alors plus qu’une double et lunaire
Vision de l’ancien monde ouvrant sa voie lactée
Nourrissant ses regrets de l’aube embryonnaire
Et du confort fœtal jusqu’aux coups contractés.
L’horreur de l’expulsion dans la gorge inondée
De sang, boue, vent, fracas, vers le combat terrestre,
Présage du dressage et des joies dessoudées,
Une à une, avec l’être au paradis rupestre.
A son tour, c’est le sein tari qui se retire
Et plastifie la peau du téton de rechange.
L’enfant nu, roi déchu, doit se lever, bâtir
Son château d’habits-mots : lois scellées sur sa fange.
La femme est devenue le mystère insondable
Hantant le statut mûr du mâle être érigé
En tour de pont-levis au-dessus des coupables
Douves du souvenir d’une paix ravagée.
L’amante pédiphage au visage fendu
Répond à la tétée des années maternelles
En avalant la langue et tout l’homme attendu,
Arraché, dès l’aurore, à son lit de mamelles.
Le coussin délicat n’est plus lait de tendresse
Et la femme inconnue le rappelle à l’ouvrage,
Aiguisant lentement ses ciseaux de maîtresse
En cuisses répétant l’impossible sevrage.
La guillotine obscure a relevé sa lame,
Son triangle affûté pour une mort fertile.
L’amour emprisonné que l’échafaud réclame
Abandonne au bourreau l’ombilic érectile.
Le revoilà dans l’urne et, comme à l’origine,
Se débat son essence aux confins de l’Uterre,
Renouvelant les coups du matin philogyne
Tel un travail poussé jusqu’aux cris planétaires.
Voici né, dans les eaux, l’amant-fils accouché
Au sortir du berceau de son être insécable,
Remembrant ses rameaux de racines souchées,
Dépliant son histoire aux colonnes instables.
Sans jamais assouvir sa quête interminable,
Le damné s’empoisonne en convoitant les coupes,
Le sérail des parfums pour un Graal incernable,
Multipliant les cœurs, les palais et les croupes.
Tel est notre héritage à chacun, lecteur-frère,
Car nos sœurs ne sont pas nées d’un homme habitable,
Et notre amour premier hante le cimetière
De nos promis échecs suite à l’inégalable.
Ce manque irrémédiable est notre sortilège :
Fantasme d’absolu, besoin que l’on nous aime
Obsédant nos désirs dans un fiévreux manège.
Voici, deuil insensé, le venin du harem !
III – AU SEUIL DE L’IMAGINAIRE
Tous les déserts du monde ont des traits féminins
Si bien que leur peau nue attise le regard
Brûlé d’azur vermeil et de fiévreux venins,
Labyrinthes sans mur aux merveilleux cigares.
Tels sont là-bas les bras des phalanges fruitées
Puisant dans l’impossible une goutte d’eau calme,
Filtrant le rêve en jus et la réalité
En mirage accompli sous le préau de palmes.
Oasis aux confins de l’errance amoureuse,
Cet écho du silence est aussi un asile
Où se noie quelquefois la bête malheureuse
En son jardin trop sec et trop loin de la ville.
Perdu comme un seul homme alors que j’étais mille,
Déraciné partout et pourtant verdoyant,
Je marchais vers la vie comme aspiré par l’île
Oubliée qui dansait sur l’océan bouillant.
C’est alors qu’apparut le front d’un monde obscur,
Sans fenêtre ni toit sinon quelques tessons
Hérissant le dos pâle au pied duquel, impur,
Je n’osais pas franchir son fossé sans poisson.
Pas d’eau ni d’animal autre que les craintifs
Et bruyants canidés qui servaient de guetteurs :
Je me surpris à mordre aux fruits contemplatifs
D’un épineux figuier, barbare et déserteur.
Le soleil se dressait au-dessus de mes lèvres,
Les écartait, pinçant de son rayon ma langue,
S’appuyait sur mon corps et menaçait de fièvre
Mon cerveau téméraire et ma mâchoire exsangue.
Dans la poussière aphone, un air brûlant fouettait
Ma peau de pèlerin sans foi ni religion.
J’étais la glace ultime au plus chaud de l’été,
L’objecteur égaré au milieu des légions.
Sans tribu ni ferqa, j’étais le fou nomade
Que bédouins, touareg et caravaniers moquent,
Celui qui se fait torche, esclave aux cent brimades,
Curieux marcheur banni par le dieu qu’ils invoquent.
Puis dans l’apaisement du soir, la canicule
M’abandonna fébrile à bien d’autres épreuves :
Faim, solitude et peur hantaient mon crépuscule,
Avant que le sommeil ne me noie dans son fleuve.
Mais, dans la nuit du mort condamné au bûcher,
Puisque n’ayant plus gourde à la veille du four,
M’emportèrent des bras dans leur cité cachée,
Au-delà des ravins, du silence et des tours.
Et ce n’est qu’au matin que je repris conscience
D’une oreille envahie par de tendres yous-yous.
Le chant de tzaghârid me remplit d’impatience
M’offrant la chair de poule et le gland de caillou.
Je découvrais le luxe et l’envers du décor
De ce désert naïf, chaste, inculte et austère.
Je comprenais que l’âtre était garde des corps
Mieux que tout cavalier, en cernant cette terre.
Car le mur de chaleur dépassé par le songe
Laissait place à son tour au plus grand des palais.
Et quiconque aujourd’hui m’accuse de mensonge
Distille encore ce feu qui a su l’isoler.
J’étais donc en ce lieu que la raison rejette
Tout autant qu’un vieux rêve accompli pas à pas,
Qu’une utopie pour qui jamais ne s’y projette
Ou qu’un fantasme obscur pour qui ne le jouit pas.
J’étais au cœur du je, de sa toute puissance,
Le réel y semblait soumis à la fiction,
Les sens avaient repris le dessus sur le sens.
J’étais tout juste au cœur de nos contradictions.
Douze nuits m’attendaient, et non pas mille et une,
Mais si déshabillées que je m’y verrai nu,
Si traversées qu’en pieds je verserai chacune,
Et si âpres qu’au laid je serai parvenu.
IV – CALES CULS
Dans le salon premier, pavé de mosaïque
Décoré de bijoux et tapissé d’étoffes,
Se reposaient couchés quatre corps archaïques
Pour qui tout mouvement frôlait la catastrophe.
Ces dames d’un autre âge, autrefois favorites,
Avaient pris tant de poids au sein du gynécée
Qu’à force d’imposer leur présence et leur rite,
Plus personne n’osait masser leur dos plissé.
Ainsi donc à l’abri dans cette hiérarchie
Où les femmes-soldats se font mobiliser
Tour à tour par le chef, celles-ci, avachies,
Se vautraient, réformées et comptabilisées.
Cependant, allez donc faire un tel inventaire
Au sein du chaud nuage où la forme est féconde !
Allez donc déplacer chaque courbe lactaire
Afin de distinguer le gras de la seconde !
C’est pourquoi au harem, il est fort difficile
D’identifier chaque être et de les compter tous,
Autant compter les doigts, autant compter les cils,
Les dattes, les colliers et les grains de couscous !
V – HACHETEES
Avançant lentement, de colonne en colonne,
Dans les appartements troublants et fastueux,
J’étais le souriceau au beau milieu des lionnes
Dévoré du regard, en chemin tortueux.
Au bout du labyrinthe aux quarante odalisques
Comme autant de voleurs de mes grains de sésame,
J’avais rejoint la cour où m’attendait le risque
De croiser un eunuque et sa coupante lame.
Ne souhaitant pas finir comme son défunt vit,
Ayant pu remarquer une esclave émouvante :
Azérie raffinée et pensionnaire à vie,
Mon désir me porta jusqu’aux lits des servantes.
Aucune arabe ou noire, et pour cause : achetées
A leurs lointains parents dans les monts du Caucase,
Pour de l’or ou du pain, pour un droit cacheté
Au sceau des envoyés du sultan en extase.
J’ai moi-même apprécié leur compagnie profane :
Leur langue avait le goût du raisin de septembre,
Leur visage était tendre et leurs mains courtisanes.
C’est pourquoi j’ai dormi recueilli dans leur chambre.
(...)
VII – IMPROPRIETE
Si les fruits de la terre et l’eau de sa sueur,
Tout l’espace et le temps, n’ont pas de possédants
Mais de simples goûteurs aux premières lueurs,
Pourquoi chaque passant ayant posé sa dent
Veut-il planter ses pics et clôturer la joie ?
Pourquoi s’emprisonner et limiter autrui,
Quand l’alentour noircit et l’horizon rougeoie ?
Pourquoi tous ces remparts que l’humain a construits ?
VIII – THEA L’AMANTE
M’ayant vu déjeuner aussi frugalement
Puis me promener seul, l’une des concubines
M’offrit de partager, ailleurs, discrètement
Son thé juste infusé et sa menthe à babines.
Le soleil se levait sur la cité des femmes
Et mon ventre creusé désirait cette pluie
Noire et verte au parfum des matins polygames
En sa demeure opaque où coulait son ennui.
La divine était rousse aux reflets de henné,
Au-dessus de la lampe éclairant le plateau.
La mélodie du grain grimpait jusqu’à son nez
Et ses yeux refermés sur le goût des gâteaux.
Ses sourcils épilés et son khôl égyptien
Soulignaient la douceur de son visage ami.
Mon âme était perdue et mon cœur était sien,
Désaltérés par l’onde à l’auguste alchimie.
Mon palais chantait l’eau et la plante associées
Dans le pieux rituel de la déesse. Islam :
Pourquoi ne loues-tu pas, plutôt qu’un justicier,
Une dame de paix, de miel et de sésame ?
IX – KANFOUD
Je dégustais le bout des cornes de gazelles
Comme un nichon céleste ayant tendu son arc
Et planté son téton de tendre demoiselle
Sur un autre sillon que celui du hiérarque.
Elle allongea son dos et écarta ses cuisses,
Sur le divan serein de son antre immobile,
Souleva ses habits afin qu’ainsi je puisse
Admirer son pubis et son majeur habile.
Le hérisson d’Allah, aussi craint qu’adulé,
Se présenta à moi : infidèle amoureux,
Appela mon vit pair au venin muselé…
Thé au lait retenu dans ses anneaux poreux.
X – TRIANGLE NOIR
Un œil apparaissait au milieu des épines,
Clignant à chaque fois que je m’introduisais
Au seuil de sa pupille, et inondait ma pine
De ses larmes noircies d’une encre improvisée.
J’écrivais de ma plume écartant ses paupières
Un sonnet de voyeur en contemplant sa prose.
Puis je me sentis bois brûlant, craquant puis pierre,
Jusqu’à ce que mes mots évanouis l’arrosent.
En observant son front abdominal humide,
Triangulaire arène où les rois taureaux beuglent,
Chambre funèbre au cœur de son œil-pyramide,
Je songeais : comment voir si l’amour est aveugle ?
(...)
XIII – HARAM
Ambre et silence avaient reconquis l’atmosphère
Et mes pas résonnaient dans sa vacuité lasse.
L’univers fascinant qui m’était là offert
Semblait sortir d’un conte et j’étais sous la glace.
Au-delà du miroir, franchi je ne sais où,
J’avais rejoint le rêve et la réalité
Du sérail féminin, comme un coup de grisou
Dans la mine insensée de chaque homme excité.
Et, loin du seul plaisir ou de la liberté,
Ce lieu était aussi fers et humiliation,
Prison des interdits, de la lubricité
Réservée au tyran entre ses ablutions.
Au sortir du hammam, il choisirait la chienne
Qui se dévoilerait à ses yeux inquiétants,
Et, selon ses désirs, la confirmerait sienne
Puis remise au secret pour six jours ou sept ans.
Au bon vouloir du mâle, oubliée dans ces murs,
Chaque femme n’était que l’objet de fantasmes,
Mais non libre des siens, ni sujet des murmures
Que le désir chuchote en amont de l’orgasme.
Elle était le jouet de la cité des fous,
Que nous sommes, parfois, en nos brûlantes listes,
Car, malgré nos valeurs que l’appétit bafoue,
Nous ne sommes, lecteur, que d’odieux égoïstes.
XIV – LE MUFTI
Au fond du corridor de tapisseries vertes
Aux symboles abstraits et motifs islamiques,
Une porte massive était restée ouverte
Et laissait s’échapper des sourates cosmiques.
Au sultan dévorant des amandes fumées
Noyées de limonade ou de citrons pressés,
Le mufti récitait la vie de Mahomet :
Grand prophète absolu aux lyriques versets.
Le brun théologien au visage pointu
Mâchait l’obscurantisme et la bêtise humaine,
Et vomissait la loi, de sentences têtues
En préceptes sacrés ; docte catéchumène :
« Tenez vous à l’écart de vos femmes souillées,
Pendant l’infirmité de leurs menstrues tenaces.
Aucune, entre ses mains, ne doit toucher, brouiller,
Le Livre Saint et pur que le démon menace !
Eloignez-les de vous et de votre mosquée,
Durant les jours honteux rappelant leur tendance :
La femme est inférieure à l’homme et compliquée,
Aussi est-elle objet de votre résidence. »
Justifié par Allah et par la tradition,
Le harem étalé au sein de son discours,
Etait la respectable et haute institution :
Prérogative utile installée dans les cours.
Le sultan rayonnait du coranique honneur
Et crachait les noyaux de ses olives vertes,
Fier, sur le carrelage où sa pine à son heure
Versait son lait précieux sur les brebis offertes.
XV – ALLAH AKBAR !
A la fin des versets d’extase et de prière,
Saucissonné de foi et de Coran ronchon,
Le jambon du harem inspectait les derrières
De huit nouveaux boudins de son groin de cochon.
Lassé des vieilles truies accoudées à ses poufs,
Rapportées de pays où l’on aime rillettes
Et tout ce qui se mange au sein du diable Alhouf,
Le sultan raffiné fit choix d’une fillette.
XVI – LA FILLETTE ET L’AÏD
Porcin calife,
Phallique au sein
De son essaim
Rose et lascif.
Cérémoniel
Contre l’ennui…
Bientôt la nuit
Avec l’agnelle.
Le mou seul mire
Sa masse amère :
Molosse mâle,
Limace à miel.
Les mots se meurent…
La miss est mûre
Pour cette offense,
Bien qu’en enfance.
Voici le fou
Qui lui fout sa
Queue sur les fesses,
Et qui s’enfonce.
Le cul se dresse,
Cris de détresse,
Con rougissant…
Coulée de sang.
XVII – INSIRENATION
L’hymen ainsi forcé, déchiré à la hâte,
Le sultan poursuivait sa mission vénérable,
Jusqu’au soulagement dans la miaulante chatte
De ses grelots de chair au poids intolérable.
Son instrument unique, aussi gros que puissant,
Poursuivait son voyage enfoncé dans la vierge,
Disparaissant parfois, tout entier, dans le sang
Qui, tel un vernis rouge, ennoblissait sa verge.
Le poignard du marin torturait la soucieuse
Avec indifférence et lui faisant subir
Une douleur pareille aux fêtes religieuses
Lorsque l’agneau se fend pour l’Aïd-el-kébir.
XVIII – RELIGION DE MECQUE
De l’Atlas au Caucase et du Bosphore au Tigre,
Il est des traditions, sous couvert de culture,
Qui soumettent la femme aux lois qui la dénigrent
En tant que sujet libre et parfois la torturent.
Il est des points de vue qui décident pour tous
Et des communautés où la ségrégation
S’appuie sur l’ignorance et le voile et la frousse
Pour s’imposer avec force contradictions.
Il est des savoir-vivre où l’on sait surtout taire
Sa voix d’individu et sa protestation,
Afin de n’être pris pour l’un des pamphlétaires
Menacés de fatwa et d’élimination.
Il est des sociétés dirigées par la foi,
Où la raison se plie sous le poids du Coran,
Et sert le fanatisme et l’horreur d’autrefois,
Toujours aussi présente, et nourrit les tyrans.
XIX – CHOREVENTRELLE
Une musique proche, au rythme frénétique,
Traversait le couloir bordé d’objets précieux.
Avançant lentement comme un simple moustique,
Je m’approchais du bout et du son délicieux.
Derrière un vase gris aux pierres incrustées,
Je découvrais le jeu troublant d’une cocotte
Se déhanchant, superbe, au salon que pistait
Déjà la foule en fête à l’écoute des notes.
Les khêlkhâl à ses pieds chevillaient de bijoux
Le cliquetis des pas et la magie des gestes.
Le henné sur ses mains et le fard sur ses joues
Coloraient son plaisir de nous offrir le reste :
Une danse du ventre excitante et précise,
Sculptée comme un bassin, peinte comme une fresque ;
Une envolée de bras et de paumes concise
En écarts langoureux ou brèves arabesques.
Ses cheveux au rhassoul : argileux et humides,
Brillaient sous le soleil de ses jeux signifiés.
Loin des vœux retenus et des désirs timides,
L’odalisque était l’or que ses reins glorifiaient.
XX – DE VOIR DEUX JOUIR
Dissimulé au soir dans une chambre obscure,
Je lorgnais sur la couche un théâtre saphique.
Comme ledit moustique avant une piqûre,
J’étais raide et tendu face aux peaux magnifiques.
Tatouées de wouchma envoûtante et verdâtre,
Sur le front, le menton et jusque sur les bras,
Les plantes se greffaient dans la jungle idolâtre
Et s’enroulaient bientôt comme de longs cobras.
L’hypnose et le secret balayaient le silence
Que, seul, interrompait le bruissement des bagues,
Colliers et bracelets, ajoutant à l’ambiance
Un parfum d’océan et la magie des vagues.
Noyé à l’horizon de leurs frêles caresses,
Alors que je n’osais grimper sur le voilier,
J’activais le gonfleur du canot de détresse
Ecumant aussitôt son éclat singulier.
XXI – PAL OU FILS
Une autre concubine, oubliée au salon,
Soulageait sa forêt, solitaire et déçue
De n’être pas choisie et soumise au pilon
Du sultan trop pressé et trop vite aperçu.
La dame à la poitrine aussi large que lourde
Plongeait dans chaque grotte un blanc godemiché
Aspiré jusqu’au fond de ses cavernes sourdes.
Ma venue auprès d’elle était donc dépêchée.
Heureuse et impatiente, elle posa ses jouets
Et caressa ce que j’apportais en échange,
Puis avala son dû, mis en bouche et loué :
Optimiste en pensant ne pouvoir perdre au change.
L’écorce de noyer avait rendu marron
Chaque lèvre charnue qui réveillait mon arbre.
Mais, souhaitant contempler l’aube de son cul rond,
Je la fis traverser pour un divan le marbre.
Face à l’alternative en deux formes d’entrailles,
Je ne savais queue faire, étudiant le sommaire :
Plutôt le trou du pal dans la haute muraille
Ou l’escalier du fils qui revient chez sa mère ?
Jouant à pile ou face et récoltant le fils,
J’entrepris la charnelle et complice exhibée
Qui scanda les prénoms, pour mon feu d’artifice,
De chacun des garçons qu’elle avait suscité.
XXII – AD MYRRHEES
Le jour neuvième, assis sur les coussins de soie
De ce lieu fascinant qui me faisait frémir,
Je songeais au croissant du Coran qu’aperçoit
Parfois l’impie ayant atteint son point de mire…
XXIII – CROISSANT DE LUNES
Les glaives des talons convergeaient vers mon âme,
Sur le sofa creusé de six lourdes femelles
Cambrées et disposées en troublante aquarelle,
Dans le sanguin salon, au fin fond de l’Islam
L’empreinte du henné longeait les hanches douces
Satinées de reflets de sueur en rosée.
Et mon désir enflait du tableau composé
Des lunes fusionnées : blanches, noires et rousses.
Car, dans ce croissant chaud qui courbait mon regard
Comme un vivant cachot de mes rêves hagards,
Dans ce brûlant virage en corps s’agglomérant,
Séniles et pubères, promis à mes ardeurs,
J’étais l’impie limbaire en ultime sondeur
Converti d’un mirage aux rondeurs du Coran.
XXIV – MASQUE ULINITE
Décris-moi ton harem et je te dirais qui
Est le sultan masqué sous ton double visage.
Dis-moi ce que ce monde entièrement acquis
Apporterait vraiment à ta cervelle sage ?
Qui est l’homme inconnu aux infinis fantasmes,
Foutant et engrossant chaque femelle au clan,
Sinon un dictateur imposant ses orgasmes
Et la propriété dévouée à son gland ?
XXV – CAMP PEUR
Collectif est le voile, au-dessus du harem,
Comme une tente unique et réservée au chef :
Piqués de jalousie et tissés de barème,
Tchador, burqa, hidjâb y ont planté leur fief.
XXVI – SEXILEES
Le palais opulent et ses jardins immenses
Se levaient sur l’amour enfermé dans sa cage.
Les melons canaris remplissaient chaque panse
D’esclave ou de gardien de ce lointain mirage.
Sublime ou monstrueux, le luxueux pays
Etait la parenthèse au milieu de la page,
Un îlot convoité, adulé ou haï,
Par les continentaux du couple et du ménage.
Il n’était pas le champ où les femmes se cueillent
Mais la fosse où chacune était enterrée vive :
En appartement-tombe ou en salon-cercueil,
En chambre mortuaire… exclue sur l’autre rive.
XXVII – POLYGAMINES
Recluses dès l’enfance et à perpétuité,
Pour le plaisir d’un homme, en troupeau de chevrettes,
Les filles du sérail n’avaient pour exister
Que l’infini du ciel et l’écho des charrettes.
La jeunette nubile, aux premières menstrues,
Après sa claustration vers la onzième année,
Revenait à son maître aussi vieux que ventru
Pour la défloration réservée à l’aîné.
La noble tradition du crime pédophile
Ainsi renouvelait ses muettes victimes
Au sacrifice admis des ingénus profils :
Intrusion douce-amère en rapport légitime.
XXVIII – A LA CARTE
Pour tenir sa fonction de taureau du harem
Et assumer le rythme incessant des unions,
Le sultan consommait du gingembre et des crèmes
Et connaissait aussi la vertu des oignons.
De nombreux jaunes d’œufs étalés sur du pain,
Avec de l’origan et quatorze autres herbes,
Composaient son dîner et, parfois, un lapin
Précédait le menu de ses passions imberbes.
En dessert, épuisé, le seigneur des femelles
Dégustait un délice à base de pois chiches
Et de cannelle en poudre, ou du lait de chamelle
Mélangé à du miel… avant d’autres pouliches.
XXIX – ECHEC ET MATE
Le viril au régime, assis dans ses salons,
Entre deux, profitait des plaisirs du majliss :
Repos noble et sacré pour le vieil étalon
Contemplant du regard sa prochaine complice.
La musique était douce et la conversation
Portait sur le parfum et le goût des oranges.
La servante apporta des jeux d’érudition :
Un échiquier d’ébène et un tavla étrange.
Oisif et relaxé, le mollusque accoudé
Sentit une tension au-dessus des babouches :
Son vit recommençait fièrement à bander,
Et la dame le mit aussitôt dans sa bouche.
XXX – EXAUCE
Pour ma part j’avais vu, au sortir du hammam,
S’isoler le croissant des six lunes rêvées.
J’imaginais goûter à l’onirique trame
Que mon cerveau avait, tout en moi, ravivée.
Prénommées Fatima, Zohra, Leïla, Aïcha,
Yasmine et Rachida, ces muses réveillées
Acceptaient de jouer les souris pour le chat,
Les fées de l’émotion pour l’homme émerveillé…
XXXI – DROIT DE CUISSON
L’étouffante vapeur de leur longue toilette
Avait surchauffé l’âtre où les corps se consument.
Chacune dévorait de ses yeux ma galette
Destinée à leur four en brûlante coutume.
J’étais d’abord pétri par leurs mains alternées,
Comme le futur pain, avant qu’enfin je puisse
Être aussi long que dur et prêt à enfourner,
Pareil au souvenir, ma pâte entre leurs cuisses.
XXXII – HARIMAGE
Mon regard se fixa sur leurs boucles d’oreilles,
Alors que je sondais leur anneau circulaire :
Saturne m’appela vers des voies sans pareil,
Lactées par mon plaisir sidéral et solaire.
XXXIII – AFFRANCHIS
Au sortir de l’el ma, traversé par des spasmes,
J’avais quitté les reins de ma lointaine orbite
Et, sous mes yeux hagards, les sujets du fantasme
S’étaient évaporés dans une mort subite.
J’étais seul et cherchais les encolures brunes
Disparues dans l’espace et le temps de l’Histoire.
De tous mes mystérieux errements sur la lune,
Il ne restait qu’un blanc croissant pour écritoire.
Je lorgnais, dans le ciel étoilé et danseur,
La lueur de ma muse aimée : Schéhérazade,
Fille d’Averroès et de tous les penseurs
Qui veillaient sur le monde au-delà des Croisades.
Celle dont j’avais lu et appris le précepte :
« Même le grand amour peut devenir prison »,
Et qui m’avait hissé, initié aux concepts
De jalousie, passion, désir et trahison.
Celle qui appelait à quitter le harâm
Pour les contrées hallal où le juste est permis
Selon la volonté de chacun, qu’il soit femme
Ou homme invité à ce « voyage promis :
Je veux que mon seigneur goûte enfin le bonheur
De vivre ailleurs serein et dans un monde libre !
Loin de la peur du vide, angoisse du glaneur,
Crainte de l’abandon : roi seul avec son chibre. »
Plutôt que le sentier inverse à son idée,
Vers les sommets glacés ou plateaux solitaires,
Je méditais le sens et, dès lors, décidai
De rechercher l’amour ailleurs que sur ces terres.
Si « l’œil est une porte ouverte sur notre âme
Et le vrai messager de ses pensées secrètes »,
Comme l’affirmait Hazm, quelle est donc cette flamme
Qui nous brûle et nous porte à rejoindre ces crêtes ?
Ces douze nuits m’avaient, plus que donné à voir,
Aidé à mieux con prendre en ayant disserté
Sur l’enfer de l’amour qui, s’il devient pouvoir,
Se consume aussitôt avec la liberté.
Y.Y.